Jeudi 21 décembre les élèves ont lu des extraits du roman Frankenstein de Mary Shelley dans le cadre de "lectures dans le noir" à leurs camarades de classes de 1AA2 (1ères Techno Arts appliqués), 1LLCE (1ères Gén. spécialité anglais) et C1ELEC et C1PAR3 (1ère année de CAP électriciens et peintres).
Ils ont installé leurs camarades dans l'espace "Antichambre de la créature" et leur ont proposé de mettre des masques de nuit sur leurs yeux pour écouter la lecture et s'immerger dans une expérience sensorielle originale...
Ils ont installé leurs camarades dans l'espace "Antichambre de la créature" et leur ont proposé de mettre des masques de nuit sur leurs yeux pour écouter la lecture et s'immerger dans une expérience sensorielle originale...
Voici l'extrait qui a été lu à la lecture dans le noir de 17h00 en présence des parents et des enseignants de la classe :
Je m’attelai à la création d’un être humain. Comme les dimensions minuscules de certains composants constituaient un sérieux obstacle à la rapidité de mes travaux, je décidai, contrairement à ma première intention, de réaliser une créature d’une stature gigantesque, c’est-à-dire haute d’environ huit pieds, avec une carrure en proportion. Étant arrivé à cette décision, je mis plusieurs mois à rechercher et à préparer mes matériaux, et je me mis ensuite au travail. |
Il serait impossible de se faire une idée de la diversité des sentiments qui, dans le premier enthousiasme du succès, me poussaient en avant avec une irrésistible vigueur. La vie et la mort me semblaient des limites idéales qu’il me faudrait franchir, avant de déverser sur notre monde enténébré un torrent de lumière. Une espèce nouvelle me bénirait comme son créateur. Combien de natures, heureuses et excellentes, me devraient l’existence ! Aucun père n’aurait jamais aussi complètement mérité la gratitude de ses enfants que moi je mériterais la leur. Poursuivant ces réflexions, je pensais que, si je réussissais à animer une matière morte, il me serait peut-être possible, ultérieurement, de restituer la vie, là où la mort avait apparemment voué le corps à la décomposition.
Ces pensées contribuèrent à entretenir mon enthousiasme, tandis que je poursuivais mon entreprise avec une ardeur infatigable. Mes longues veilles m’avaient rendu pâle, et ma continuelle claustration m’avait fortement amaigri. Parfois, parvenu au bord même de la réussite, je me heurtais à un échec. Malgré cela, je me raccrochais à l’espoir que le lendemain, ou même l’heure suivante, m’apporterait la réussite. Il était un secret que j’étais seul à posséder : c’était le but que je m’étais promis d’atteindre. La lune contemplait souvent mes travaux menés jusque tard dans la nuit, engagé que j’étais à forcer la nature dans ses ultimes retranchements. Et cela, avec une ardeur haletante et une persévérance inébranlable.
Qui donc pourrait concevoir l’horreur de mon travail poursuivi en secret, pataugeant dans la profondeur humide des caveaux ou torturant un animal vivant pour tenter d’animer la matière inerte ? D’y penser me donne maintenant le vertige et fait trembler mes membres. Mais, à l’époque, une impulsion irrésistible et quasi frénétique me poussait en avant. Je semblais avoir perdu le sens de tout ce qui n’était pas mon unique but. En réalité, ce ne fut qu’une période de transe passagère, et aussitôt que ce stimulant hors nature eut cessé d’opérer, je retrouvai intacte ma sensibilité ancienne.
Je collectais des os dans les charniers, et je violais, de mes doigts profanes, les secrets extraordinaires de l’organisme humain. J’avais installé un atelier, ou plutôt une cellule, destinée à mon immonde création, dans une chambre isolée tout en haut de l’immeuble, et séparée des autres appartements par une galerie et une volée d’escaliers. J’avais l’impression que les yeux me sortaient des orbites, lorsque je me livrais à mes odieuses manipulations. La salle de dissection et l’abattoir me procuraient une grande partie de mes matériaux, et souvent la sensibilité de ma nature humaine me faisait me détourner avec dégoût de mon travail. Cependant, poussé par une ardeur sans cesse croissante, je poursuivais ma tâche.
Les mois d’été s’écoulèrent, pendant que j’étais ainsi totalement engagé à poursuivre mon unique but. La saison était superbe. Jamais les champs n’avaient produit d’aussi abondantes récoltes, ni les vignobles autant d’aussi bons vins. Mais mes yeux demeuraient insensibles aux charmes de la nature.
(...)
L’hiver, le printemps et l’été passèrent pendant que je me livrais à mes travaux, mais ils m’absorbaient à tel point que je ne vis pas les fleurs s’ouvrir ni les bourgeons se transformer en feuilles, spectacle qui, avant, ne manquait jamais de me ravir.
Cette année-là, les feuilles se desséchèrent avant que mon travail approchât de sa fin. Chaque jour me révélait davantage jusqu’à quel point j’avais réussi. Mon enthousiasme était cependant mitigé par l’anxiété. J’avais plutôt l’air d’un homme condamné à peiner en esclave au fond d’une mine, ou à se livrer à quelque autre occupation également malsaine, que celui d’un savant s’adonnant à ses travaux favoris. J’avais chaque nuit des accès de fièvre. Je devins affreusement nerveux. Et un beau jour, je fus étonné de remarquer que des feuilles tombaient déjà. Je fuyais mes semblables, comme l’eût fait un criminel. Parfois, je m’alarmais en voyant l’épave que j’étais devenu. Seule, ma volonté tenace me soutenait encore. Heureusement, mes travaux touchaient à leur fin, et je me disais qu’aussitôt qu’ils seraient achevés, l’exercice et les distractions auraient vite fait de me remettre de cette insipide maladie. Je me promettais de m’y adonner à cœur joie.
Une sinistre nuit de novembre, je pus enfin contempler le résultat de mes longs travaux. Avec une anxiété qui me mettait à l’agonie, je disposai à portée de ma main les instruments qui allaient me permettre de transmettre une étincelle de vie à la forme inerte qui gisait à mes pieds. Il était déjà une heure du matin. La pluie tambourinait lugubrement sur les carreaux, et la bougie achevait de se consumer. Tout à coup, à la lueur de la flamme vacillante, je vis la créature entrouvrir des yeux d’un jaune terne. Elle respira profondément, et ses membres furent agités d’un mouvement convulsif.
Comment pourrais-je dire l’émotion que j’éprouvai devant cette catastrophe, ou trouver les mots pour décrire l‘être repoussant que j’avais créé au prix de tant de soins et de tant d’efforts ? Ses membres étaient, certes, bien proportionnés, et je m’étais efforcé de conférer à ses traits une certaine beauté. De la beauté ! Grand Dieu ! Sa peau jaunâtre dissimulait à peine le lacis sous-jacent de muscles et de vaisseaux sanguins. Sa chevelure était longue et soyeuse, ses dents d’une blancheur nacrée, mais cela ne faisait que mieux ressortir l’horreur des yeux vitreux, dont la couleur semblait se rapprocher de celle des orbites blafardes dans lesquelles ils étaient profondément enfoncés. Cela contrastait aussi avec la peau ratatinée du visage et de la bouche rectiligne aux lèvres presque noires.
Bien que multiples, les péripéties de l’existence sont moins variables que ne le sont les sentiments humains. Pendant deux années, j’avais travaillé avec acharnement, dans le seul but d’insuffler la vie à un organisme inanimé. Je m’étais pour cela privé de repos, et j’avais sérieusement compromis ma santé. Aucune modération n’était venue tempérer mon ardeur. Et pourtant, maintenant que mon œuvre était achevée, mon rêve se dépouillait de tout attrait, et un dégoût sans nom me soulevait le cœur.
Ne pouvant supporter davantage la vue du monstre, je me précipitai hors du laboratoire.